Ma première photo de toi, sans que tu le saches, a été prise depuis ma fenêtre. Ta silhouette qui s’éloigne dans la nuit, au bout de ma rue, juste éclairée par la lumière dorée de la ville.
Je ne savais plus si c’était un départ ou un adieu, mais je savais que cette image resterait.
Puis j’ai continué à prendre des photos, juste pour moi.
Ces images dorment quelque part, dans un coin de ma mémoire et celle de mon téléphone, invisibles pour toi, gardiennes d’instants que tu as oubliés.
Il y a ta main sur le volant, un voyage en voiture. La musique en fond, ta voix qui chantonne, le soleil qui découpe la route et les petites taches de rousseur sous le bracelet de ta montre. Tout un monde tient dans ce détail.
Ton corps dans le grand fauteuil de mon salon, un soir d’hiver.
Un peu alangui par la fatigue, la tête renversée en arrière, la main posée sur ton front. Tu étais parti dans tes pensées et moi je t’observais, puis je volais l’image. Je la garde, comme celle qui était restée dans mes yeux, ce soir-là. Je pensais : tu es là, mais toujours ailleurs.
Et puis il y a celle sur une falaise bretonne.
Je ne me souviens plus du nom de la plage en bas, mais je sais la date, l’heure presque.
Ce jour-là, tu venais de me serrer contre toi face à l’océan avant de t’éloigner, curieux, vers le bord.
Je suis restée en retrait, le vent me giflait un peu, j’ai crié ton prénom pour que tu te retournes.
Et là, je t’ai pris en photo. Tu n’as rien dit. Tu n’as pas demandé à voir la photo plus tard.
À cette seconde, je me souviens très clairement avoir pensé : je ne serai plus heureuse qu’à cet instant.
Je pourrais disparaître maintenant, sans rien regretter.
C’est étrange d’être traversée par une telle plénitude qu’on se dit que mourir n’y changerait rien.
Sur cette photo tu n’as pas posé, je ne t’en ai pas laissé le temps. Pourtant tu souris.
En quittant mes bras une minute plus tôt, tu souriais déjà. Et ce sourire continue sur l’image, figé dans un éclat de sel et de lumière.
Personne ne me l’enlèvera.
Les années ont passé, j’ai connu d’autres bras, d’autres soleils, d’autres sourires. Peut-être que le meilleur reste à venir.
Mais si tout devait s’arrêter, il me resterait ton sourire sur une falaise bretonne, comme une trace qui me rappelle qu’un jour, en te regardant, j’étais exactement à ma place dans le monde.

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