Il y a des chansons que je ne peux plus approcher. Je les contourne comme on contourne une rue trop étroite, trop empreinte de ce qui n’existe plus, où l’on sait qu’un seul pas pourrait suffire à tout faire basculer.
Et pourtant, parfois, dans un café, dans une voiture, ou au milieu d’une boutique innocente… Les trois premières notes s’échappent. Elles me coupent net. Elles me ramènent où je n’ai plus envie de retourner. Elles me trouvent toujours, même quand je ne les cherche plus.
C’est une cuisine un soir d’hiver : la lumière tamisée, un verre qu’on attrape à l’aveugle, ta voix qui suit la mélodie comme une habitude douce. Ou ton appartement un dimanche, lorsque tu posais ta main sur ma joue pour retenir mon regard, ta voix qui venait se mêler à celle du chanteur, juste un peu plus tendre, juste pour moi.
La musique parlait à ta place, peut-être mieux que toi. Elle portait tes absences, enjolivait tes retours, servait d’alibi à ce que tu n’osais pas formuler.
Tu ne disais pas « pardon ». Tu envoyais un morceau qui s’en chargeait. Tu ne disais jamais « tu me manques ». Tu préférais un refrain à 1h du matin. Tu ne disais pas « je reviens ». Tu choisissais une mélodie qui sonnait comme une promesse.
Et c’est peut-être ça, le piège : la musique, comme toi, sait mentir. Elle laisse croire que rien n’a vraiment disparu, qu’il suffirait d’un “play” pour recommencer l’histoire.
Et moi, je cède encore. À chaque fois. À la première note.