Chronique de l’été

Chronique de l’été

Chronique de l’été 1290 1290 Sophie Pialet

Cet été, une histoire en fragments. Un fil qu’on tire doucement, une page à la fois.

1 – Le coup de fil

Il était tôt. Une de ces heures silencieuses, juste avant que la journée ne commence.
Personne n’appelle à cette heure-là. Personne… sauf toi, autrefois.

Numéro inconnu. Numéro effacé. J’ai décroché. Par curiosité, ou par erreur. Mais j’ai décroché. Et puis cette voix. La tienne.

— C’est moi.

Nos prénoms prononcés en même temps. Un sourire. Un vrai.
Celui qui vient du ventre. Celui qu’on n’attend pas.
Le plaisir d’entendre ta voix gomme l’amertume de ton départ.
Le corps a de la mémoire, le cœur aussi, et le mien se souvient. Il se rétracte, se fige un peu.

J’avais envie de te dire « pourquoi ? » avant le « comment vas-tu ? »
Mais je me suis tue. On a vite rattrapé les années de silence par des ellipses choisies, parlé des voyages qu’on n’a pas faits ensemble, les enfants qui grandissent, les parents qu’on a perdus, les amis effacés ou lointains. Des projets qui comptaient, de ceux qu’on a oubliés.

Et puis tu m’as demandé :
— Est-ce que tu es heureuse ?
Mais je crois que ce que tu voulais savoir, c’était :
— Est-ce que tu es amoureuse ?

J’ai répondu :
— Je ne suis pas amoureuse. Mais je suis heureuse.

Et j’ai entendu ton souffle se suspendre, de l’autre côté.

2 — Pourquoi as-tu disparu ?

La question est sortie sans calcul. Je ne voulais pas te piéger, juste comprendre. Parce que ton silence avait laissé trop d’espace.

Tu dis que tu as voulu rentrer dans le rang. Tu as parlé de choix raisonnables, d’une vie qu’il fallait construire, de celle que tu ne voulais plus blesser. Tu m’as effacée à force de volonté, à coups de phrases qu’on dit pour se convaincre. Mais que tu t’étais perdu quelque part, en route.

Je t’avais imaginé heureux, tu m’as crue oubliée. On a fait semblant, chacun de son côté.

Moi, je ne t’ai pas effacé. Pas vraiment. J’ai tenté de passer à autre chose, oui. D’autres bras, d’autres histoires. Mais même ton absence a fini par me tenir compagnie.

Je pense : et si on s’était trompé ? Et si l’oubli n’avait jamais marché ? Si on était voués à se retrouver, autant qu’à se quitter ?

Tu ne dis pas que tu as changé, mais que tu as compris.

Et puis, après un silence, dans un souffle :

— J’ai envie de te voir.

3 – Le rendez-vous

On ne s’est pas demandé si c’était une bonne idée.
Tu as dit : « J’ai envie de te voir. » J’ai dit d’accord. Rien de plus. Pas de « moi aussi ».

Mais j’y suis allée. Une terrasse à l’abri, entre deux rues, entre deux saisons.

Tu étais déjà là. Pas de malaise. Pas de gestes déplacés. Juste cette évidence calme : tu étais là, et moi aussi. A nouveau.

Tu avais changé, un peu. Mais c’est surtout ton regard qui m’a troublée. Moins inquiet, plus clair. Comme si quelque chose s’était apaisé. Ou peut-être que c’était moi.

On a parlé de tout, comme au téléphone. Mais en vrai, on ne parlait que de nous.

Dans les silences, dans les regards, dans les verres qu’on remplissait à peine. Il n’y avait rien à précipiter. Mais tout était déjà en mouvement.

Je me suis dit : si ça recommence, je ne veux pas le subir. Je veux choisir. Sentir. Me laisser traverser.
Mais ne pas me perdre.

Et puis, en partant, tu as dit :
— Je pourrais venir, si tu veux.

Et tu n’as rien ajouté.

4 – La maison 

Tu connaissais la maison. Juste de passage. Une fois, peut-être deux. Mais tu t’en souvenais. Tu m’avais soufflé des idées, offert deux ou trois objets.J ’ai pris en compte les uns, conservé les autres. Tu le vois.
J’y ai ajouté quelques années de vie, d’objets, de fleurs, et beaucoup de souvenirs.

Je te regarde te poser là, et ça me serre un peu. Tu n’es jamais resté. Tu es toujours reparti. Et pourtant, tu as l’air à ta place.

Pas de gestes brusques. Juste une main qui frôle la mienne. Un silence qui s’installe. Et ce regard, que je finis par soutenir.

C’est ça, les corps qui se connaissent. Ils ne demandent rien. Ils se retrouvent, comme s’ils n’avaient jamais vraiment oublié.
Ton parfum dans mon cou. Ta paume sur ma joue. Et cette façon d’être là, pleinement.

Ce n’est pas comme avant. C’est mieux. Maintenant.
Tu n’as plus peur d’être là. Et moi, je n’ai plus envie de fuir.

Et puis tu as demandé, presque doucement : — Je reste ?

5 – Le matin 

Tu es resté.
Cette nuit, je la garde pour moi.
Mais je me souviens de celles d’avant. Je me levais, souvent.

Tu me cherchais. Tu me retenais dans tes bras quand tu me sentais partir. Et au petit matin, tes angoisses revenaient. Je te regardais partir.
Cette fois, personne n’a bougé. Ni toi, ni moi.

Ton souffle calme. La lumière dans la pièce. La manière dont tu t’es levé pour préparer du café sans me demander où il était rangé.
Tu savais. Ou tu t’es souvenu.

Je t’ai observé en silence, comme si je voulais garder ce matin-là entier. Un matin sans urgence.
Juste l’évidence d’être là. Ensemble. Encore un peu.
Tu m’as souri sans me forcer à répondre. J’ai souri sans me protéger.

Et puis, comme si c’était une question anodine :
— Tu veux qu’on fasse quoi, aujourd’hui ?
Pas “et demain”, pas “et après”.
Juste aujourd’hui.

6 – Aujourd’hui 

Nous sommes sortis marcher, sans but précis, sans objectif. Juste pour être dehors, ensemble.
Tu m’as raconté un souvenir d’enfance, un film à revoir, un plat que tu aimais cuisiner. C’était simple. Et doux.

J’ai pensé, un moment, à te prendre la main. Mais je ne l’ai pas fait. Peut-être parce que ce geste aurait trop dit. Ou qu’il aurait fallu l’assumer, après.

On a déjeuné tard. Tu t’es levé pour cuisiner, comme si tout t’était familier.
J’ai dressé la table sans réfléchir. Un peu comme si ce jour-là n’avait rien d’exceptionnel.
Alors qu’il l’était.

Et je me suis surprise à penser à ce qu’il y avait dehors. À ce que tu ne disais pas. À ce que je ne demandais pas.
À tout ce que cette parenthèse ne disait pas encore.

Je suis restée dans cette école buissonnière, volontairement.
Mais je sens que le monde est là, en lisière.

Le soir est tombé. Tu es resté. Et je me suis demandé : jusqu’à quand ?

7 – Laisser Partir 

Le lien ne s’étire pas mieux quand on le serre trop fort.
Alors je ne t’ai pas demandé de rester.

Tu n’as rien dit.
Mais quelque chose dans ton corps, dans le silence, commençait à ressembler à un départ.

J’ai simplement dit – tu peux y aller.
Là où tu dois.
Pour régler ce qui t’attend, pour voir ceux qui t’aiment.
Ceux auxquels je ne suis pas liée, mais qui font partie de toi.

Je n’ai pas besoin de tout partager pour nous sentir ensemble.
Je n’ai pas besoin de tout savoir pour que ça existe.
Ce que je ressens, je le ressens depuis toujours.
Même quand tu étais loin. Même quand je croyais que c’était fini.

Alors je t’ai regardé partir, avec, pour la première fois, la certitude que tu reviendrais.

Le soir est tombé. Tu es resté. Et je me suis demandé : jusqu’à quand ?

8 – Le message

Le message est arrivé dans la nuit. Je l’ai lu au réveil. C’était toi, évidemment.

“Je crois que je suis passé à côté de l’essentiel, en te voyant.

Tout est venu trop fort, trop vite. Ce besoin de te revoir. Cette urgence qui n’a laissé la place à rien d’autre que toi.

Et pourtant, je n’ai rien dit de ce qui comptait.

Je reviens toujours. Une manière de respirer. Je m’éloigne, je reviens. Encore et encore. On dirait que c’est plus fort que moi. Et je n’ai jamais su si c’était une faiblesse ou une forme d’attachement. Peut-être les deux.

Je ne veux plus te blesser. C’est la seule certitude que j’ai aujourd’hui.

Mais je doute encore de savoir comment faire autrement. Je n’ai jamais rien promis. Ni de rester. Ni de revenir. Ni même d’aimer mieux.

Et pourtant, quelque chose a changé. Je ne me débats plus contre moi-même. Je n’ai plus peur de ce qu’il y a entre nous.

Cette fois, ce n’est pas une fuite. C’est une transition. Une traversée. Un passage obligé avant ce qui vient.

Je ne t’ai jamais rien promis. Peut-être parce qu’au fond, c’était toi, la promesse.”

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