Je vous connais tous les deux, séparément, elle et toi. Je connais vos amours, vos parcours, quelques-unes de ses failles et la plupart de tes envies.
Je sais l’homme que tu es, un père, mon ami, et qui se cache derrière qui tu montres. Des années à te voir construire, chuter parfois, rebondir, et toujours douter. Nous ne restons jamais loin.
Elle est arrivée plus tard que toi dans ma vie. Petit à petit elle s’est laissée découvrir, m’a laissée entrer dans son monde. Elle m’écrit plus qu’elle ne me parle, elle m’écoute plus qu’elle ne se raconte. Nous sommes deux femmes de mots, qui rions beaucoup ensemble.
Je vous aime chacun pour des raisons différentes.
Tu m’attendris avec tes gestes de grand prince derrière ton allure de sale gosse, ton air bourru et tes brusques accès de tendresse ; tu es un insolent qu’on a envie de prendre dans ses bras.
Elle m’émeut avec sa façon de sembler rire de tout, même de ce qui la blesse, avec la pudeur qui se cache dans ses silences et son œil de petite fille, qui s’est remis à briller quand elle m’a parlé de toi.
Oui, nous y voilà : parler de toi, parler d’elle.
Je vous ai vu vous croiser, vous regarder sans vous voir puis enfin vous rencontrer. Spectatrice muette d’un moment que vous avez pris pour un jeu avant de comprendre, chacun à votre tour, que derrière le jeu et l’interdit il y avait une chance. Il m’a semblé être témoin d’une évidence, que je fus peut-être seule à voir.
Puis je vous ai écoutés, lus, sans rien en dire. J’ai entendu tes hésitations et son audace. J’ai vu le désir qui déstabilise, qui fait prendre des risques puis effraye, alors on recule, pour mieux plonger un peu plus tard. Lequel s’est jeté à l’eau le premier ? Elle probablement.
Je peux t’expliquer comment tu l’as séduite sans le vouloir : avec ta curiosité, ton regard clair, capable de se poser dans le sien sans ciller quand les autres fuient. Avec ta façon de ne jamais hésiter même si je sais qu’en réalité tu t’interroges sans cesse.
Elle ne sait pas comment elle t’a attirée, pourquoi sa façon de te comprendre te trouble, tu sens sa peur et tout ce qu’elle fait pour s’en défaire. Parce qu’elle est dure avec elle-même, comme tu peux l’être avec toi, et qu’elle garde sa tendresse pour qui ne la mérite pas. Tu aimerais qu’elle cesse, avec toi peut-être.
Je sais aussi ce qu’elle ne t’a pas dit et que tu as deviné. Les trahisons, les plaies encore ouvertes, les mauvais choix pour tromper l’ennui. Tu as lu les mots qu’elle écrit pour les autres, bientôt tu y chercheras des traces de vous.
Je connais les liens qui te retiennent, et les images qui tournent derrière tes yeux clos les nuits d’insomnie. Les restes d’un amour abimé que tu n’arrives pas encore à abandonner.
Tu sais déjà ce que tu pourrais perdre mais pas encore ce que tu pourrais gagner. Tu as beau être joueur, cette histoire est plus qu’un jeu.
Quelque chose a débuté, et de ce qui a suivi je ne sais rien, je le devine. Ces moments vous appartiennent. Les premiers baisers sont souvent les plus beaux.
Vous devrez bientôt choisir ce que vous ferez de ces premiers instants : un commencement ou un joli souvenir.
Parce que je préfère les commencements aux renoncements, et avant que la réalité ne prenne le dessus, je vais t’écrire ce que vous pourriez être demain, une fois balayés les « si » d’aujourd’hui.
Je vais te raconter les avions et les trains que vous prendrez pour vous rejoindre, ses nuits blanches dans tes bras, tes réveils dans les siens.
Au début elle ne dormira pas près de toi, et plus tu la tiendras, moins elle s’abandonnera. Puis, tu comprendras, tu n’essaieras plus de l’accompagner dans le sommeil, et, un jour, apaisée, elle se réveillera à tes côtés.
Elle va chercher longtemps à percer le mystère de tes silences, de tes absences. Pour te découvrir elle ira voir ce qui t’émerveille encore, elle voudra ramener le petit garçon qui sourit encore derrière l’homme qui ne rit plus beaucoup.
Tu voudras lui montrer tes paysages, ceux qui t’apaisent et ceux qui te font rêver. Elle te perdra dans les rues des villes qu’elle aime, ici et ailleurs. Vous irez loin pour être ensemble.
Si tu es sur le devant de la scène, elle restera toujours cachée, pour te voir sans que tu la devines, pour te laisser briller et rester dans l’ombre de la foule. C’est de là qu’elle t’aimera le mieux. Même alors elle ne te l’avouera pas, pour ne pas faire comme les autres.
Tu lui donneras quantité de conseils qu’elle semblera ne pas suivre jusqu’à ce que tu oublies que tu lui as donnés.
Alors, comme on lâche la main de l’adulte qui vous aide à marcher, pleine de tes leçons, elle s’en servira pour tout résoudre. Elle n’aura jamais besoin de toi, mais elle avancera grâce à ce que tu es pour elle.
Elle saura t’écouter, tu sauras la regarder. Elle ne te freinera jamais, même quand elle aura peur de ne pas pouvoir te suivre.
Tu ne contrôleras jamais son désir pour toi, il t’emportera à chaque fois. C’est dans son souffle que tu te sentiras vivant. Vos corps s’apprendront par cœur mais vos peaux n’en finiront pas de se répondre. Sans doute le savez-vous déjà.
Vous comparerez vos impatiences, vous vous lancerez des défis. Tu dresseras la liste des « je n’ai jamais fait » pour les faire ensemble, et tu les trouveras pour vous fabriquer des souvenirs bien plus que pour lui plaire.
Elle t’écrira des lettres « pour plus tard », ces petits morceaux de vous qu’elle t’enverra quand tu n’y attendras pas, quand il faudra un souvenir pour réveiller ce qui se sera assoupi.
Vous n’aurez à construire que votre histoire, sans famille ou carrière, en tissant vos propres liens, avec vos envies pour seul devoir.
Elle vivra le manque plus fort que toi. Les petits matins sans messages, elle aura envie d’abandonner. Elle ne saura pas t’attendre si tu ne lui demandes pas. Pour elle, il n’y a pas de silence, il n’y a que de l’indifférence. Elle trouvera cent raisons pour te voir, mille pour te parler.
Mais si tu n’es pas là tu la perdras. Pour un jour ou un silence de trop, elle disparaitra.
Tant que tu la regarderas comme tu la regardais hier, qu’il y a un demain dans tes promesses, ta voix qui résonne encore, et ton appétit féroce pour l’inattendu, vous aurez une chance.
Je vous aime. L’un et l’autre.
Sophie,
Merci pour ce voyage. Comme tous les voyages, ce n’est pas la longueur qui compte, c’est le chemin. Et, le chemin que je viens de prendre était parsemé de belles choses.
Erick