C’était un pari idiot, comme ils le sont un peu tous. Et contre toi je partais perdante.
L’objet du pari importait peu, l’enjeu c’était le gage. Le gagnant aurait le droit de demander à l’autre ce qu’il voulait, et l’obtiendrait. J’avais choisi mon vœu : une journée avec toi. 24 heures où tu dirais « oui » à tout, à moi.
Contre toute attente j’avais gagné le pari. Une carte blanche.
L’idée même de ce temps ensemble semblait inconcevable. Toute notre histoire n’était qu’une parenthèse, que nous n’arrivions pas à refermer, un éphémère sans cesse renouvelé.
Dans cette relation bancale, en déséquilibre, insupportable par certains aspects, magique par d’autres, j’avais gagné un joker. Quoi qu’il arrive il y aurait encore cette journée.
C’est sans doute pour cela que nous ne trouvions pas de date, les semaines passaient et tu disais souvent : « je sais que je te dois une journée », sans demander laquelle. Nous pensions avoir tout le temps pour la prévoir, pour la rêver. Nous n’avions pas fixé de limite dans le temps pour la vivre.
C’est lorsque j’ai commencé à réfléchir à l’endroit où cette journée se passerait que j’ai su qu’elle n’aurait jamais lieu.
Il n’y avait pas un lieu pour nous que tu n’aies partagé avec une autre ou que tu ne partagerais bientôt. Il n’y aurait jamais un espace dans ce monde que tu serais capable de ne garder qu’à nous. Et pour cette fois, je ne voulais plus te partager.
Il est des voyages que je ne referai pas sans toi, des lieux que je refuse de revoir. Le monde est assez grand pour que certains endroits restent des souvenirs et d’autres des projets. Tu ne tenais pas assez à notre histoire pour cela.
C’est à ce moment que je l’ai compris.
J’ai essayé souvent d’imaginer ce que serait cette journée avec toi si c’était la dernière. Un condensé de ce que nous avions aimé faire ensemble toutes ces années, ou ce que nous n’avons jamais pu ?
Au fond c’est le quotidien que j’aurais voulu vivre, pour gouter à une vie avec toi. Pour l’exceptionnel nous avions été assez gâtés, et assez doués l’un et l’autre pour en profiter. C’est ce que tu aurais fait du reste du temps que je ne connaitrai jamais.
Si j’étais sûre de supporter la suite, je revivrais à nouveau certains jolis moments. Retrouver le gout de la première gorgée d’Aloxe Corton dans un verre que tu me sers sur le bord d’une baignoire ; un seul de tous les baisers que je t’ai donnés sans réfléchir, juste pour la façon dont tu me regardais. Entendre ta voix dire « c’est bien quand tu restes » au milieu de la nuit, et ta main qui me retient.
J’aurais voulu faire le tour de toi en 24 heures. Te redécouvrir avec les yeux de la première fois, le désir, l’espoir, la déception, puis ne plus t’aimer. Que la flamme naisse, brûle et s’éteigne définitivement, le tout en une seule journée.
Ce n’était pas possible non plus, pas plus que supporter plus longtemps le grand huit incessant qu’était devenue notre histoire.
Un jour de printemps j’ai décidé de descendre du manège. Tu ne m’as pas retenue.
Tu me dois une journée.

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